jeudi 30 juin 2011

Fracture pathologique de la mandibule

Pathological mandibular fracture

I. Loeb1,*, M. Shahla1, R. Javadian1, P. Hermans2

1Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale, CHU Saint-Pierre, 1000 Bruxelles,
Belgique
2De´partement de me´decine interne, clinique d’he´matologie–oncologie, CHU Saint-Pierre,
1000 Bruxelles, Belgique


Un patient aˆge´ de 19 ans est admis dans le de´partement
de chirurgie maxillofaciale suite a` une agression
sur la voie publique. Il pre´sente une tume´faction
douloureuse de la re´gion mandibulaire gauche en
regard de la premie`re molaire.
L’examen clinique objective une tume´faction douloureuse
accompagne´e d’un he´matome de la re´gion mandibulaire
au niveau du vestibule buccal adjacent aux dents 36 et 37.
La radiographie panoramique re´ve`le la pre´sence d’une
double fracture de la branche horizontale gauche, dans
une zone osseuse d’aspect lytique et irre´gulie`re de la re´gion
pe´riapicale des dents 36 et 37 (fig. 1).
Vu l’aspect de´labre´ des dents 36 et 37, le diagnostic de
kyste pe´riapical avec fragilisation de la mandibule est
e´voque´.
Le bilan sanguin re´alise´ a` l’admission est normal.
Le patient est hospitalise´ et, sous anesthe´sie ge´ne´rale, les
dents 36 et 37 sont extraites, la le´sion mandibulaire curete´e
et le produit de curetage envoye´ pour une analyse anatomopathologique.
Les fractures sont alors re´duites et oste´osynthe
´se´es par une plaque (fig. 2).
Les suites ope´ratoires sont normales et le patient quitte le
service au deuxie`me jour postope´ratoire.

Figure 1. Orthopantomogramme montrant la double fracture
mandibulaire gauche.


Figure 2. Orthopantomogramme postope´ratoire.

              Quelle le´sion l’examen anatomopathologique a-t-il re´ve´le´ ?


Re´ponse

L’examen anatomopathologique de la le´sion mandibulaire
e´voque le diagnostic d’histiocytose langherhansienne.
Il s’agit d’une prolife´ration histiocytaire non ne´oplasique
d’e´tiologie inconnue.
Elle n’est de´termine´e par aucun caracte`re ethnique ou ge´ographique
et se rencontre surtout chez l’enfant de sexe
masculin (50 % des cas survenant avant l’aˆge de 20 ans).
Les le´sions osseuses se situent pre´fe´rentiellement au
niveau des os plats (craˆne, coˆtes), des verte`bres, de la mandibule
et des os longs (fe´mur et hume´rus). En cas d’atteinte
maxillofaciale, ce sont les re´gions molaires infe´rieure et
angulaire qui sont habituellement touche´es [1-3].
L’histiocytose langerhansienne a e´te´ de´crite pour la premie`
re fois a` la fin du XIXe sie`cle par Hand. En 1953, Lichtenstein
propose le terme d’histiocytose X pour de´signer trois
expressions cliniques diffe´rentes d’une meˆme maladie, le
de´nominateur commun e´tant la nature histiocytaire ; il
s’agit du granulome e´osinophile, de la maladie de Hand-
Schuller-Christian et de celle de Letterer-Siwe. De nombreux
travaux scientifiques ont montre´ les transformations
possibles d’une forme clinique en une autre, toujours dans
le sens d’une aggravation du pronostic.
La de´finition actuelle de ces diffe´rentes entite´s cliniques est
base´e sur des crite`res histologiques. Nezler, en 1973, identifia
la pre´sence des cellules de Langerhans dans les le´sions.
L’histiocytose langerhansienne est une maladie due a` la prolife
´ration des histiocytes issus de la diffe´renciation des
monocytes (varie´te´ de leucocytes de grandes dimensions
destine´s a` devenir des macrophages et dont le roˆle est la
captation et la digestion des e´le´ments e´trangers). Les histiocytes
assurent normalement la de´fense de l’organisme, mais
en cas d’histiocytose, leur multiplication anormale s’accompagne
d’une invasion des visce`res et/ou des os [2, 4].
L’histiocytose langerhansienne peut atteindre divers tissus
et organes et prendre selon la localisation une expression
clinique diffe´rente. On distingue des formes localise´es (granulome
e´osinophile) et des formes diffuses, aigue¨s (maladie
de Lettere-Siwe) ou chroniques (maladie de Hand-Schuller-
Christian) [3, 4].
Notre cas clinique entre dans le cadre des granulomes e´osinophiles.
Ils se localisent le plus souvent au niveau des os
et/ou des poumons. L’atteinte osseuse, unique ou multiple,
affecte pre´fe´rentiellement la mandibule et se manifeste cliniquement
par des douleurs, des tume´factions, des fractures
spontane´es, des mobilite´s dentaires anormales ou
encore un retard de cicatrisation apre`s avulsion dentaire.
On n’observe pas de signe de Vincent.
Radiologiquement on de´crit une lacune osseuse a` contours
finement « grignote´s » qui sie`ge le plus souvent au niveau
molaire et qui a tendance a` apparaıˆtre dans la zone de
bifurcation des racines ; celles-ci pouvant parfois eˆtre re´sorbe
´es. Il existe des cas de destruction des bourgeons dentaires
et de perforation de la corticale osseuse [1].
C’est l’examen anatomopathologique qui permet de poser
un diagnostic de certitude [3]. L’histologie conventionnelle
renseigne sur la topographie de l’infiltrat histiocytaire,
l’aspect des cellules, l’association a` des e´le´ments non histiocytaires
(lymphocytes, e´osinophiles), la pre´sence de cellules
ge´antes ou encore l’existence d’une surcharge lipidique.
La mise en e´vidence en microscopie e´lectronique
des corps de Birbeck dans le cytoplasme des cellules de Langerhans
ainsi que le marquage membranaire des histiocytes
par immunohistochimie avec un anticorps anti-CD1a
confirme le diagnostic d’histiocytose langerhansienne [3].
Le traitement doit eˆtre adapte´ a` la se´ve´rite´ de la maladie et
a` son caracte`re e´volutif. Le traitement chirurgical (curetage–
exe´re`se) est le premier choix en cas de le´sion osseuse
unique. Il expose a` moins de 12 % de re´cidives. Une injection
locale de corticoı¨des (80 a` 100 mg de succinate de
me´thylprednisolone) est parfois propose´e seule ou en association
avec le traitement chirurgical. La radiothe´rapie,
autrefois indique´e en cas d’exe´re`se chirurgicale incomple`te,
est aujourd’hui contre-indique´e de principe dans la maladie.
On la pratiquera toutefois exceptionnellement lorsque
les le´sions s’ave`rent menac¸antes d’un point de vue fonctionnel.
On re´servera les traitements les plus lourds et les
plus agressifs aux formes disse´mine´es. Il s’agira alors de
chimiothe´rapie (vinblastine…) associe´e ou non a` une corticothe
´rapie (prednisone) qui a pour but d’atte´nuer et/ou
d’espacer les pousse´es e´volutives.
Le pronostic reste variable et fonction de la se´ve´rite´ de la
maladie ainsi que d’une prise en charge pre´coce et approprie
´e, les formes osseuses uniques ayant un pronostic tre`s
favorable [1, 4, 5]. L’e´volution clinique de notre patient a e´te´
favorable. Le bilan ge´ne´ral a permis d’exclure d’autres localisations
de la maladie. Le suivi radiologique (Pet-Scan) a
montre´ la pre´sence de remaniements osseux traduisant
une gue´rison progressive de la le´sion mandibulaire [1, 5].



Re´fe´rences

1. Namai T, Yusa H, Yoshida H. Spontaneous remission of a solitary
eosinophilic granuloma of the mandible after biopsy: a
case report. J Oral Maxillofac Surg 2001;59:1485–7.
2. Li Z, Li ZB, Li J, Wang S, Cheng Y, Wei M. Eosinophilic granuloma
of the jaws: an analysis of the clinical and radiographic
presentation. Oral Oncol 2006;42:574–80

3. Bartnick A, Friedrich R, Roeser K, Schmelzle R. Oral Langerhans
cell histiocytosis. J Craniomaxillofac Surg 2002;30:91–6.
4. Kessler P, Wiltfang J, Schultze-Mosgau S, Neukam F. Langerhans
cell granulomatosis: a case report of polyostotic manifestation
in the jaw. Int J Oral Maxillofac Surg 2001;30:359–61.
5. Putters TF, de Visscher JG, van Veen A, Spijkervet FK. Intralesional
infiltration of corticosteriods in the treatment of localised
Langerhans’ cell histiocytosis of the mandible. Report of
known cases and three new cases. Int J Oral Maxillofac Surg
2005;34:571–5.





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