mardi 5 juillet 2011

Un nidus douloureux

A painful nidus

M. Lakouichmi, T. Dausse, D. Kamal*, P. Jammet, C. Delaval, P. Goudot, J. Yachouh

Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, hoˆpital Lapeyronie,
CHU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier
cedex, France

Une patiente de 33 ans, sans ante´ce´dent pathologique
particulier, a consulte´ pour une douleur mentonnie`
re.
L’anamne`se retrouvait une douleur persistante du menton
irradiant vers l’oreille gauche, e´voluant depuis deux ans.
Cette douleur a` pre´dominance nocturne e´tait calme´e par la
prise de 1 g d’aspirine. L’examen clinique objectivait une
douleur a` la pression symphysaire sur son versant lingual. La
muqueuse e´tait intacte sans signes inflammatoires ni fistule.
Le test de vitalite´ dentaire de toutes les dents de la
re´gion symphysaire e´tait normal. L’interrogatoire et
l’examen clinique ge´ne´ral n’ont pas re´ve´le´ d’autre pathologie.
La radiographie panoramique dentaire ne mettait pas en
e´vidence de le´sion.
Le scanner re´ve´lait une petite image hyperdense, he´te´roge`ne
avec un lisere´ pe´riphe´rique hypodense, appendu a` la corticale
poste´ro-infe´rieure de la re´gion parasymphysaire gauche
(fig. 1 et 2), mesurant 7,5 par 4,5 mm.
La scintigraphie montrait un foyer intense d’hyperfixation

Figure 1. Image scannographique de la le´sion en coupes axiale et sagittale.

Figure 2. Image scannographique de la le´sion en trois dimensions montrant le nidus sur le versant lingual de la symphyse mandibulaire.

Re´ponse
Il s’agissait d’un oste´ome oste´oı¨de
La confirmation a e´te´ obtenue par l’e´tude histologique apre`s
l’exe´re`se chirurgicale par voie cutane´e. Les suites ope´ratoires
ont e´te´ marque´es par un he´matome du plancher buccal qui
s’est amende´ progressivement, les douleurs ont disparu, et
aucune re´cidive n’a e´te´ note´e.
L’oste´ome oste´oı ¨de est une tumeur de la ligne´e oste´oblastique,
conside´re´e comme be´nigne, mais tre`s douloureuse.
Elle touche pre´fe´rentiellement l’adolescent et l’adulte jeune
de sexe masculin et peut atteindre tous les os, avec une
pre´dominance pour les os longs [1].
La localisation mandibulaire est beaucoup plus rare, peu
rapporte´e (dix localisations maxillomandibulaires dans la
litte´rature anglaise) [2]. Son incidence est de 2 a` 3 % de
l’ensemble des tumeurs osseuses toutes localisations
confondues [1]. Jones et al. [2] rapportent que les premiers
cas ont e´te´ de´crits par Jaffe en 1935.
Il s’agit d’une le´sion de forme arrondie, toujours infe´rieure a`
2 cm, constitue´e d’un nidus radioclair entoure´ d’une zone de
radioscle´rose. La douleur provoque´e par cette tumeur
be´nigne justifie l’intervention. Par ailleurs, elle peut conduire
a` des de´formations morphologiques de l’os atteint et/ou a`
des synovites [3].
La triade clinique pathognomonique [3] comporte une douleur
persistante, a` pre´dominance nocturne, d’installation
insidieuse, re´pondant a` l’aspirine ou aux anti-inflammatoires
non ste´roı ¨diens ; une oste´ocondensation avec ou sans nidus
radiologique sur la radiographie standard, (ou nidus avec
oste´ocondensation pe´riphe´rique) et une hyperfixation scintigraphique
au temps vasculaire pre´coce.
Il ne faut pas confondre cette tumeur avec l’oste´oblastome
ou oste´ome oste´oı ¨de ge´ant, qui est moins douloureux et plus
volumineux (taille supe´rieure a` 2 cm) [1,2].
Des cas de gue´rison spontane´e ont e´te´ rarement de´crits ne
survenant qu’au bout de nombreuses anne´es d’e´volution
de sorte que l’abstention the´rapeutique n’est pas envisageable
[3].
Le traitement de re´fe´rence est la chirurgie a` ciel ouvert.
L’exe´re`se du nidus, qui repre´sente la partie tumorale de la
le´sion, conduit a` une gue´rison de´finitive [1].
La difficulte´ majeure re´side dans le repe´rage perope´ratoire,
qui conduit parfois a` pratiquer une exe´re`se e´largie. Le
scanner est la me´thode de choix pour le diagnostic et
l’e´valuation du nidus et c’est pourquoi le radioguidage scannographique
a e´te´ envisage´ comme une technique d’assistance
au geste chirurgical [4]. D’autres techniques
chirurgicales ont e´te´ de´crites : re´section par voie percutane´e
ou extraction me´canique ( a` la tre´phine, au trocard) et
destruction par voie transcutane´e ou thermique (par photocoagulation
laser, par radiofre´quence) [4]. Toutefois ces
techniques seraient plus indique´es pour les oste´omes
oste´oı¨des de sie`ge verte´bral et du membre infe´rieur [4],
aucune expe´rience n’a e´te´ rapporte´e sur des localisations
maxillofaciales.


Re´fe´rences

1. Chung Ji Liu, Kuo Wei Chang, Kuo Ming Chang, Chieb Yuan
Cheng. A variant of osteoid osteoma of the mandible: report of a
case. J Oral Maxillofac Surg 2002;60:219–21.
2. Jones AC, Prihoda TJ, Kacher JE, Odingo NA, Freedman PD.
Osteoblastoma of the maxilla and mandible: a report of 24
cases, review of the literature, and discussion of its relationship
to osteoid osteoma of the jaws. Oral Surg Oral Med Oral Pathol
Oral Radiol Endod 2006;102:639–50.
3. Haddad E, Ghanem I, Wicart P, Samaha E, Kharrat A, Aoun N,
et al. Thermocoagulation percutane´e scannoguide´e de
l’oste´ome oste´oı ¨de. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot
2004;90:599–606.
4. Cantwell CP, Obyrne J, Eustace S. Current trends in treatment of
osteoid osteoma with emphasis on radiofrequency ablation. Eur
Radio 2004;14:607–17.




Tumeur ge´ante du plancher de la bouche

Giant tumour of the mouth floor

A. Ortiz1, P. Laime1, F. Gabler2, M.A. Inostroza3, R. Pantoja3*

1 Unite´ de chirurgie de la teˆte et du cou, hoˆpital clinique San Borja-Arriara´n, Santiago, Chili
2 Service d’anatomie pathologique, hoˆpital clinique San Borja-Arriara´n, Santiago, Chili
3 Unite´ de chirurgie maxillofaciale, hoˆpital clinique San Borja-Arriara´n, Santiago, Chili

Une jeune femme de 23 ans, d’origine colombienne,
sans ante´ce´dent pathologique, pre´sente une volumineuse
tume´faction du plancher buccal. La
tumeur repousse la langue en arrie`re, alte´rant se´ve`rement
la phonation et la de´glutition. La de´formation touche la
re´gion sous mentale ( fig. 1 et 2). Cette tumeur est connue
depuis dix ans, elle a e´te´ ponctionne´e et aspire´e a` plusieurs
reprises dans son pays, toujours avec une re´cidive pre´coce.
La palpation bimanuelle confirme le caracte`re unique de la
tumeur. Elle est indolore et fluctuante. L’image scanner montre
une e´norme le´sion kystique, bien contourne´e. E´ trangle´e
par lemusclemylohyo¨ıdien, elle a un aspect en sablier ( fig. 3).

Figure 1. Vue endobuccale de la le´sion.

Figure 2. La tume´faction sous-mandibulaire vue de profil.

Figure 3. Coupe tomodensitome´trique frontale montrant l’image en sablier.


Re´ponse
Le diagnostic de kyste dermoı¨de a e´te´ confirme´ par
l’exe´re`se chirurgicale. L’intervention a e´te´ mene´e par voie
cervicale transverse, en re´se´quant les nombreuses cicatrices
de ponctions. Le kyste a e´te´ e´nucle´e´ sans difficulte´ ( fig. 4). La
muqueuse buccale e´tait indemne. L’examen anatomopathologique
retrouvait des glandes se´bace´es associe´es au reveˆ-
tement e´pidermique.
Les kystes dermoı¨des sont de´rive´s des inclusions ectodermiques
produites par la fusion des processus embryonnaires. Ils
peuvent eˆtre pre´sents de`s la naissance ou se manifester dans
les deux premie`res de´cades de la vie [1,2]. Sans pre´dilection
de sexe, ils se pre´sentent comme une masse mobile, lisse, de
taille variable, de croissance lente et asymptomatique le plus
souvent. La localisation au niveau du plancher buccal est
assez rare. Plus rarement encore, occupe-t-il les deux
compartiments sous-lingual et sous-mandibulaire.
Les kystes dermo¨ıdes sont compose´s d’e´le´ments dermiques ou
e´pidermiques et leur cavite´ peut contenir de la ke´ratine. Le
scanner et l’IRM sont utiles au diagnostic. Une e´tude cytologique
apre`s ponction a` l’aiguille fine peut eˆtre utile [3]. Une
tume´faction cervicaleme´diane peut faire e´voquer un kyste du
tractus thyre´oglosse, un pseudokyste salivaire, voire un kyste
branchial. Le traitement de choix est l’e´nucle´ation chirurgicale.
Les re´cidives sont rares et les suites simples bien qu’il ait
e´te´ rapporte´ une transformation maligne [4].

Figure 4. Vue perope´ratoire de la le´sion au moment de l’exe´re`se.


Re´fe´rences

1. Bascones A. Llanes F. Medicina bucal, Madrid: E´ ditorial Avances.
Me´dicos Dentales 1996; 395–6.
2. Neville BW, Damm DD, Allen CM, Bouquot JE. Oral & maxillofacial
pathology. Philadelphia: Saunders; 1995. p. 29.
3. Babuccu O, Isiksac¸an Ozen O, Hosnuter M, Kargi E, Babuccu B.
The place of fine-needle aspiration in the preoperative diagnosis
of the congenital sublingual teratoid cysts. Diagn Cytopathol
2003;29:33–7.
4. Devine JC, Jones DC. Carcinomatous transformation of a sublingual
dermoid cyst. A case report. Int J Oral Maxillofac Surg
2000;29:126–7.




Présentation inhabituelle d’une pathologie courante

I. Loeb, M. Shahla

Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale (Pr J. Van Reck), CHU Saint-Pierre, Bruxelles, Belgique

Un patient âgé de 80 ans, d’origine marocaine, est
admis dans le département de chirurgie maxillofaciale,
pour des lésions faciales et buccales très douloureuses,
évoluant depuis environ une semaine.
La biologie exprime un syndrome inflammatoire.
L’examen clinique montre la présence d’un érythème hémifacial
droit recouvert de lésions de type « vésicules » à différents stades
d’évolution (fig. 1). Ces lésions évoluent sur l’ensemble du territoire
du nerf trijumeau droit, à savoir : les régions temporale, sousorbitaire,
pré-auriculaire, paranasale et commissurale, les hémilèvres
supérieure et inférieure avec la région mentonnière, l’hémipalais,
la joue et l’hémi-langue droits (fig. 2 et 3). Le conduit auditif
externe est respecté ainsi que la paupière supérieure. On note
également la présence d’adénopathies cervicales unilatérales.
Dans les antécédents de ce patient on retrouve une bronchopneumopathie
chronique obstructive, un diabète insulinodépendant
équilibré, une cardiomyopathie ischémique et un
syndrome du tako-tsubo.



Figure 1. Patient vu de profil

Figure 2. Lésions hémi-langue droite.

Figure 3. Lésions palais et joue droits


Réponse

Il s’agit d’un zona du nerf trijumeau entreprenant ses trois
branches.
Le nerf trijumeau, sensitivo-moteur, anime les muscles de la
mastication et donne la sensibilité à la face, l’orbite, les fosses
nasales et la cavité buccale. Les fibres sensitives prennent naissance
dans le ganglion de Gasser.
Le nerf trijumeau se compose de trois branches : ophtalmique,
maxillaire supérieur et mandibulaire. C’est la branche ophtalmique
qui est la plus fréquemment atteinte en cas de zona. S’il
est habituel de retrouver une atteinte zostérienne trigéminale
d’une ou deux branches du nerf, l’atteinte simultanée des trois
branches est exceptionnelle.
Le zona est une infection localisée, unilatérale, due à la réactivation
du virus de la varicelle, « varicelle-zoster » (VZ), virus à
DNA [1]. Cette affection se rencontre plus fréquemment chez
les sujets âgés ou immunodéprimés, sans prédilection de sexe
ou de race.
L’éruption vésiculeuse est habituellement précédée de douleurs,
parfois intenses, allant d’un simple prurit à de véritables
sensations de brûlures. Le patient se plaint parfois avant
l’apparition des lésions cutanéo-muqueuses, de paresthésies
ou hyperesthésies dans le territoire du dermatome concerné.
Les signes généraux accompagnateurs sont peu fréquents :
malaise, céphalées ou encore pyrexie [2].
Les adénopathies réactionnelles unilatérales sont habituelles.
Les vésicules apparaissent le plus souvent groupées et évoluent
sur un fond érythémateux. Elles se rompent au bout
d’une dizaine d’heures, et laissent la place à une petite ulcération
rapidement recouverte d’une croûte qui peut persister
plusieurs semaines. De nouvelles vésicules peuvent apparaître
pendant plusieurs jours ce qui explique le tableau clinique
classique de lésions cutanéo-muqueuses à différents stades
d’évolution.
Le diagnostic, principalement clinique, peut être confirmé
par l’isolement du virus à partir des fluides des vésicules (culture
ou immunofluorescence) ou encore par des tests sérologiques.
Le diagnostic différentiel, difficile en phase pré-éruptive, se
pose lors de l’éruption avec une infection bactérienne (impétigo),
un herpès zostériforme, une dermatite de contact ou
encore une brûlure.
La pathogénie de cette affection n’est pas encore complètement
élucidée. Au cours de l’épisode de varicelle (primo-infection),
le virus « varicella-zoster » (VZ) présent en grande
quantité dans les lésions cutanéo-muqueuses progresse de
manière centripète vers le ganglion où il reste latent [3]. Sa
réactivation est relativement rare et sporadique, mais peut
parfois correspondre à certaines situations telles que : la prise
d’immunosuppresseurs ou de corticoïdes, l’existence d’une
néoplasie, d’un traumatisme local…
Le traitement habituel dont a, par ailleurs, bénéficié notre
patient consiste en l’administration d’acyclovir (Zovirax• )
3 x 500mg/jour en IV lente, de paracétamol (Perfusalgan• )
3 x 1 g/jour en IV, de gabapentine (Neurontin•) 3 x 300 mg
per os, et d’un complexe vitaminé B1-2-6-12 (Befacte forte• )
3 comp./jour [4].
La complication majeure du zona est la névralgie post-zostérienne,
souvent accompagnée d’hypoesthésie du territoire
atteint. Elle se retrouve dans 10 à 15 % des cas, apparaît après la
disparition des croûtes et peut persister plusieurs mois. Son
incidence augmente avec l’âge et elle est relativement rebelle
aux traitements classiques.
En cas de zona ophtalmique on peut observer des complications
plus spécifiques telles que des ulcérations cornéennes,
des rétractions palpébrales, une ptose paralytique, une névrite
optique…



Références
1. Carbone V, Leonardi A, Pavese M, Raviola E, Giordano M. Herpes
zoster of the trijeminal nerve: a case report and review of the literature.
Minerva Stomatol 2004;53:49-59.
2. Piette E, Reychler H. Traité de pathologies buccale et maxillofaciale.
De Boeck Université, 1991:390-2.
3. Kennedy PG. Key issues in varicella-zoster virus latency. J Neurovirol
2002;8:80-4.
4. Watson CP. Management issues of neuropathic trigeminal pain
from a medical perspective. J Orofac Pain 2004;18:366-73.